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Mon blog

Cet espace est dédié à mes coups de cœur : expositions, lieux, lectures, rencontres et autres moments magiques, en mots et en images. Pour le plaisir de les partager.

 Arles, l’élégance minimaliste et radicale de Lee Ufan

L’exacte distance et la subtile

tension entre les choses.

Une pierre sans âge est posée délicatement près d’une paroi métallique légèrement incurvée. Une spirale de béton brut conduit, pas à pas, jusqu’en son cœur où l’on contemple le ciel sous nos pieds. Un grand bassin, empli d’une eau bleutée, égrène les reflets lumineux d’un goutte à goutte au plafond d’une pièce aveugle. A chaque salle, une émotion nouvelle. Le rapport de la pierre millénaire et des matériaux manufacturés, l’exacte distance et la subtile tension entre les choses : tout l’art du plasticien Lee Ufan, théoricien du mouvement d’avant-garde Mono-ha (« l’école des choses »), se condense ici. Au sol de la cour intérieure, entièrement minérale, trois blocs de pierre sont posés. L’un s’enrobe d’un fin ruissellement d’eau, presque imperceptible. C’est trois fois rien, c’est indicible. D’une beauté liée à la rencontre des éléments, à leur agencement dans l’espace, à travers l’épaisseur du temps.

Omniprésente, la profondeur du temps s’inscrit en filigrane au sein de cet hôtel particulier construit entre XVIème et XVIIème siècle, au cœur de l’antique cité d’Arles. Le lieu, voulu par le plasticien sud-coréen, se nomme Lee Ufan Arles. Un lieu à son image : d’une élégance minimaliste et radicale. Sa réhabilitation, en forme d’épure, porte la signature de l’architecte japonais Tadao Ando. Le premier étage est investi par les peintures de Lee Ufan, habitées par le mouvement, la trace, la place centrale du vide. Le second étage sera quant à lui dédié à des expositions temporaires, le plasticien devenu Arlésien de cœur souhaitant pour encourager la création contemporaine y donner à voir l’œuvre d’artistes choisis.
Lee Ufan Arles. 5 rue Vernon. Arles. www.leeufan-arles.org

« Le crocodile blanc et autres hasards » : Uli Wittmann, de traducteur à auteur

hans silvester

Un recueil qui nous entraîne de l’autre

côté du miroir.

On a peu d’occasions de s’intéresser aux traducteurs, ces écrivains de l’ombre évoluant dans le sillage d’auteurs dont ils épousent la langue. Voué à l’effacement, l’exercice de la traduction inclut pourtant le style, l’interprétation, la personnalité de celui qui traduit. Uli Wittmann, traducteur en allemand de Le Clézio, de Maryse Condé, de nombre d’auteurs africains et français, dont sa compagne Noëlle Châtelet, appartient à cette confrérie discrète. Alors, quand pour la première fois il publie sous sa signature, au Mercure de France, un recueil de nouvelles écrites en français, ce pas franchi interpelle.

« Le crocodile blanc et autres hasards »  rassemble six nouvelles qui nous plongent dans un univers personnel en prise avec l’Afrique, et en particulier le Nigéria, Port Harcourt, les Ibos, des territoires familiers communs à l’auteur et à JMG Le Clézio, prix Nobel de littérature, qui en signe la préface. Avec une finesse d’esprit mâtinée d’une forme d’humour assez anglo-saxonne, ces nouvelles nous parlent d’étrangeté. Ce que le titre ici nomme hasard, avec une certaine distance laissant le champ libre à l’imaginaire. Elles nous font voyager aussi, du delta du Niger aux couloirs du métro parisien, et basculer comme par inadvertance de l’autre côté du miroir, du côté des pratiques magiques, des rêves prémonitoires, des portes qui s’ouvrent sur l’autre monde.

L’art du bref, propre à la nouvelle, s’allie ici à de subtiles références, littéraires ou personnelles. On croise, entre autres, apparaissant sur la fin de la dernière des six nouvelles « Le philtre d’amour », un personnage nommé Ulli Baier. Alter ego de l’auteur ? Pas tout à fait, puisque cet Ulli-là a bel et bien existé. Il a même joué, de ce côté-ci du miroir, un rôle important dans la trajectoire professionnelle de l’auteur. Le nom des personnages prend à chaque fois une réelle épaisseur. Certains recèlent des énigmes que l’auteur, avec jubilation, s’est amusé à y glisser, et que les férus de littérature chercheront à débusquer.

« La vérité a plus de facettes qu’un diamant taillé », nous dit en préambule du recueil un certain Roten Rotenberg. Ne cherchez pas qui est cet auteur inconnu. Il est tout droit sorti de l’une des nouvelles inventées par Uli Wittmann. Une touche vertigineuse, comme un piège subtil tendu d’entrée de jeu, pour mieux vous désorienter.

Avec ce premier recueil, Uli Wittmann a obtenu le Prix de l’Académie française de la nouvelle 2022, le prix de la Société des Gens de Lettres / Christiane Baroche du premier recueil de nouvelles 2022. Il a également été finaliste du Prix Goncourt de la nouvelle 2022.

Le crocodile blanc et autres hasards. Uli Wittmann. Ed. Mercure de France. Préface de JMG Le Clézio. https://present-uli-wittmann.org

A Sète, un festival d’images singulières et plurielles

hans silvester

L’exposition « Fragiles » au Chai des moulins.

Un ancien chai désaffecté, un cinéma aux parois constellées de traces noires comme des pochoirs inspirés, une chapelle veinée de coulures ocres, rouges, roses, au cœur de la ville de Sète. J’ai aimé ces lieux. J’ai aimé y voir renaître le Festival « Images singulières » après deux années de pandémie. J’ai aimé surtout les images offertes au regard – oui, offertes, ici tout est gratuit–. Images singulières, et plurielles. En particulier « Dust », le regard sensible de Patrick Wack sur la région autonome ouïghoure du Xinjiang. « Beyrouth », le travail de Myriam Boulos interrogeant frontalement sa ville natale, ses habitants, ses plaies ouvertes.

Ou encore « Fragiles », un récit polyphonique du collectif Tendance Floue. Seize voix pour dire la vulnérabilité, l’incertitude du monde qui est le nôtre. Une diversité de regards pour chercher dans le ténu, le fragile, de quoi vivifier nos imaginaires. Et tout spécialement le très remarquable travail de Gilles Coulon, l’homme qui photographie la nuit, et particulièrement la nuit africaine, la beauté des ténèbres, jusqu’au point où l’image pourrait disparaître, pour tenter de retenir ce que nos yeux devinent, ce que nos sens perçoivent, ce qui bouge et vit, à la lisière de l’invisible.

L’exposition « Fragiles » qui vient de s’achever à Sète a donné lieu à l’édition d’un livre publié aux Editions Textuel. www.imagesingulieres.com/

  Écrire pour rendre les choses lisibles, sensibles, accessibles.

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